La meute et son chacal

Publié le par Marc-Antoine Pecoraro

Comme vous avez pu le voir, je me suis remis à poster régulièrement et j'ai plein de nouvelles choses à montrer, en attendant de les exporter voici une de mes nouvelles. J'espère pouvoir me remettre bientôt à l'écriture du recueil alors en attendant faites de beaux rêves.

            L’esprit de meute. Pendant de nombreuses années, ce fut ma seule religion. Ma foi envers ce groupe était inébranlable. Nous allions à droite, à gauche, ou droit vers les ennuis. Mais tout ce qui comptait, c’était l’éclate. Chacun avait sa propre dégaine, sa personnalité. Lorsque l’un d’entre nous voulait quelque chose, n’importe quoi, nous faisions tout pour le lui procurer, animés par une force commune et dévastatrice. Nous avions nos valeurs et faisions notre justice, quel qu’en soit le prix. Lorsque vous faites partie d’une meute, la seule chose qui peut vous en défaire est la trahison. Mais chez nous, pas de traître, tous prêt à tout, pour tout, pour tous.

            Au moment où je vous conte cette histoire, je suis en train de vivre ma dernière journée. Je n’ai pas dormi de la nuit, profitant de chaque nouvelle seconde qui s’offrait à moi. Le dernier jour d’un condamné… Je n’ai pas eu le droit à l’ultime repas. Les temps sont trop durs et les dirigeants n’ont pas trouvé utile d’offrir un repas à un homme qui vas mourir ; d’autant plus que nous sommes très nombreux. Une association humaniste m’a tout de même permis un dernier plaisir : un poste radio et un CD de Son House. Death Letter tourne en boucle depuis hier soir et se répand dans les murs de ce cachot pourri. Je veux ressentir cette vibration au moment de mourir, je parle de celle du bottleneck sur des cordes d’acier. Même ma meute ne m’en apportait pas autant. Maintenant, j’attends. Je ne sais même pas par quelle technique je vais être exécuté. Il y a tellement de condamnés qu’il faut bien varier les plaisirs de ce public de charognards.

            Nous étions le clan Jack and Blood. Cette boisson, alors réputée pour avoir été inventée par le Diable lui-même, se faisait à base de Jack Daniels et du sang de nos ennemis. C’était un cocktail à la fois vigoureux et excitant. Nous roulions des heures durant sur de longues routes désertées depuis longtemps avec nos montures d’acier. Il y avait Jack, un type bizarre qui disait venir des îles. Avec sa tête de chacal, ses dreads dressées sur le haut du crâne et un pic dans le nez, il racontait être le meilleur joueur de poker du continent. Lorsque nous lui demandions pourquoi, il riait, se léchait les canines et caressait un as de pique tatoué sur son ventre. J’entendais plus tard parler du cannibalisme dans certaines tribus exotiques. En se nourrissant de leurs ennemis, ils s’appropriaient leurs savoirs et leurs forces. Il y avait aussi l’homme. Nous l’appelions ainsi parce qu’il ne parlait presque jamais, il n’avait donc pas besoin d’être interpellé. Les gens dans les ruelles murmuraient des histoires sur lui, et vu la façon dont il se comportait au jour le jour, je ne pouvais qu’en être convaincu. Puis il y avait le petit Jimmy, un rêveur celui-là. Il restait parfois des heures seul, le regard vide, il pensait. Ce qu’il aimait par dessus tout, c’était de rouler à toute vitesse dans sa Mustang en se saoulant. Il semblait espérer que quelque chose arrive mais après son accident, qui fut très proche de mon incarcération, je n’en su jamais plus.

            Alors quoi ? Où est ma meute à présent ? Je me serais tué pour eux, mais eux me laissent mourir seul ; et mourir seul a toujours été ce que je redoutais le plus.

            Nous avions été forcés, par une nuit orageuse, de squatter un vieux hangar désaffecté. Une odeur de décomposition dansait dans l’air et avait une fâcheuse tendance à se frotter trop prés de nos narines. La pluie raisonnait sur les taules au dessus de nous comme si John Bonham était encore en train de corriger sa batterie, à mains nues. Un vieil homme entra, toute la meute se retourna sur ce visiteur inattendu. Il semblait tout droit sorti d’un conte celtique. Il portait une longue cape, qui, déchirée à de nombreux endroits, laissait deviner qu’il se trouvait, en dessous, dans son plus simple appareil. En d’autres moments, il aurait pris un coup de barre à mine avant d’avoir fait plus de trois pas. Mais ce vieux imposait d’entrée de jeu un certain respect. Il s’assit prés de nous au coin du feu et sortit de sa poche un bâtonnet d’encens. Sans dire un mot, il l’alluma et l’odeur vint vite chasser celle qui nous titillait. Peu à peu, nous entrions dans un état second. Un état cauchemardesque. Nous revoyions les visages de nos morts, certaines scènes d’enfance, la folie de la meute. Je revivais le pire de mes souvenirs, un souvenir bien plus vieux que ce groupe de tarés. Un beau soir d’été, je regardais le soleil se coucher sur le palier de ma maison, basculant sur mon fauteuil. Ma femme était en train de ramasser le linge qui avait séché toute la journée sous ce soleil de plomb. Elle était ma deuxième moitié, jamais plus je n’ai retrouvé une femme comme elle. C’était une vraie chieuse, mais je fondais dés qu’elle me souriant en me regardant avec ses grands yeux en noisette. Elle était la seule capable de me faire pleurer, elle me maternait, me serrait contre ses seins. Les plus belles choses que Dieu ait jamais créées d’ailleurs. Lorsqu’elle enleva le dernier drap qui la cachait, son sourire habituel avait été remplacé par des lèvres serrées de douleur. Elle tomba à genoux, des larmes se mélangeant au sang qui sortait de sa bouche. J’accourai vers elle, la pointe d’une flèche ressortait de son sein gauche. A quelques mètres, une raclure à qui elle avait refusé des avances tenait un arc. Quand il me vit, j’avais déjà mes mains serrées autour de sa gorge…

            Un garde, accompagné d’un médecin, pénètre dans mon cachot. Afin d’éviter les résistances, les dirigeants fournissent une substance qui atténue les souffrances morales des condamnés. Une sorte de produit édulco-mort. Je ris. Ces bourreaux ne se rendent pas compte à quel point la dose qu’il m’injecte est ridicule. Je n’en réclame pas. Je verrai la dame noire en première loge et je veux pouvoir la saluer.

            Quand je repris mes esprits, c’était le vieillard que je venais d’étrangler. L’odeur naturelle du hangar était revenue, celle de l’encens, dissipée. La meute avait pour commandement de ne pas empêcher un des ses chiens de tuer. Nous considérions que si l’un d’entre nous s’en prenait à quelqu’un, c’était qu’il avait une bonne raison de le faire et qu’il ne fallait donc en aucun cas tenter de l’en empêcher. Le vieillard s’effondra sur moi comme un enfant qui s’endort sur sa mère. Ce meurtre fut celui de trop, je crois bien… Jusqu’à cet instant, les milices avaient fermé les yeux, soit par accord, soit par peur. Mais je venais de tuer le symbole de ma rémission. Lorsque le Jack and Blood entrait en scène, c’était œil pour œil, dent pour dent, mais la fin du Jack and Blood avait sonné au rythme des raclements de sa gorge affaiblie. Le lendemain matin, alors que nous enterrions le corps du vieillard, une milice sur-armée entra en trombe. Jimmy s’échappa le premier, en prenant bien soin d’emporter la bouteille de Jack. Celui du même nom sauta à la gorge de l’un des molosses. Il lui arracha la jugulaire de ses canines acérées, saisit son arme et en refroidit trois ou quatre. Il s’en alla ainsi par la grande porte, laissant un as de pique traîner derrière lui. Puis l’homme, le plus mystérieux du Jack and Blood, monta dare-dare sur sa monture, et démarra au quart de tour, une chaîne à la main. Telle une couleuvre, la chaîne s’enroula autour de l’un des miliciens, et quand je me retournai sur lui, je ne vis plus qu’un nuage de poussière et sa tête traîner au sol à toute vitesse, laissant ci et là des parties de son visage. Je n’eus pas la chance de m’enfuir, étant le dernier à réagir, aveuglé par la classe de la fuite des mes acolytes, je ne pus que me résigner à me rendre, encerclé par une vingtaine de survivants.

             Ca y est, j’entends la porte du cachot s’ouvrir pour la dernière fois. Je ne résiste pas. A quoi bon tenter quelque chose ? Je suis au fond du trou et je préfère y rester. Je n’ai plus de femme à aimer, et la meute m’a trahi. Deux fois ma vie s’est effondrée et je n’ai pas le courage de la reconstruire une troisième fois. J’avance dans le couloir de la mort, suivant cette ligne verdâtre sur le sol, les rats m’observent. A chaque pas la mort se rapproche. Je ris en pensant qu’il en est de même pour chacun, en fait… Je pense à tout ce qu’il y a autour de moi en me disant que je les vois pour la dernière fois. Je pourrai maintenant compter sur mes dix doigts le nombre d’inspirations qu’il me reste. Je pense à mon estomac qui n’a pas fini de digérer le dernier repas que j’ai pu recevoir. Mais heureusement, Son House résonne toujours dans ma tête, voila une dernière volonté d’un condamné qui aura existé avant sa mort. J’espère seulement que mon châtiment ne sera pas aussi violent que ceux des victimes du Jack and Blood.

            J’arrive sur le lieu de l’exécution. Un bourreau cagoulé m’attend une hache à la main. Un détail me glace le sang…

            Je m’agenouille devant une souche d’arbre et dépose ma tête dessus. Je sens l’odeur de la sève et je me dis qu’elle sera le parfum de la dame noire. Toute la ville est là, avec son affreux visage de voyeuse. Le silence règne et je décide alors de le briser en chantonnant Son House. J’avais décidé de voir la mort et de la regarder m’emporter. Je retourne la tête sur mon bourreau. La dernière fois. Et la mort est un as de pique tatoué sur le ventre d’un chacal. Je sens le métal me pénétrer la gorge, ma tête roule sur le sol, j’ai l’impression d’être à la fête foraine. Mon corps amputé à quelques mètres, il ne me reste que quelques secondes pour me dire que je n’ai décidément rien perdu avec le Jack and Blood. Surtout avec cet enfoiré de chacal cannibale.

 

Fait le 27/01/2009

La meute et son chacal

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
<br /> Très bon !<br /> Très "Mad Maxien" si je peux me permettre. J'entend par là Post-Apocalyptique, Métalo-Punk, sanglant et glauque à souhait... tout ce que j'aime !<br /> Merci pour cette belle (?) histoire !<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> Salut Mo merci pour ton avis et tu peux entièrement te permettre ;-), il n'y a pas de soucis<br /> <br /> A bientôt<br /> <br /> <br />